jeudi 3 mars 2011

La Parole au Peuple, leçon 8 (nouvelle version)

Ce n'est plus un mystère désormais : un des points de ma future campagne électorale repose sur le thème de « la parole au Peuple ». Plus que lui donner la parole, je veux lui rendre la République. Selon ce principe, je devrais me réjouir d'entendre, enfin, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, considérer le Peuple pour ce qu'il est, c'est à dire une population responsable, capable de résoudre des problèmes. Malheureusement, comme toujours, derrière une annonce officielle, une sorte de « susucre à son chienchien », il se dissimule des thèmes plus préoccupants. Est-ce qu'on veut résoudre les problèmes ou les réprimer ?
Énoncé de la problématique:
« Nicolas Sarkozy réfléchit à l’opportunité d’installer des jurés populaires auprès des magistrats professionnels qui siègent dans les tribunaux correctionnels, afin de «rapprocher le peuple de la justice».
Avant tout chose, je vais me livrer à un exercice dont j'ai déjà donné la recette dans les précédentes leçons : à savoir, décortiquer la phrase et en dégager les termes et expressions significatives. J'ai donc relevé ceci :
  • Opportunité. Ce nom vient de l'adjectif opportun qui signifie : favorable, qui arrive à propos.
    Le fait que cette idée (les jurés populaires dans les correctionnels) arrive à propos laisse déjà deviner quelques arrières pensées électoralistes voire démagogiques. Le débat n'arrive pas comme ça par hasard. Si l'opportunité se résume à une action à faire au bon moment, l'opportuniste reste celui qui « retourne sa veste » facilement.
  • Jurés populaires. (extrait d'un article figurant sur le site wikipedia)
    Le jury populaire est composé de citoyens de plus de 23 ans, sachant lire et écrire en français, jouissant de leurs droits politiques, civils et de famille, et ne se trouvant dans aucun cas d'incapacité ou d'incompatibilité (membres du gouvernement, parlementaires, magistrats, fonctionnaires de police, militaires,...). Les jurés sont tirés au sort sur les listes du jury criminel établies tous les ans dans chaque département à partir des listes électorales. Cette liste annuelle sert au tirage au sort des jurés de session, qui peuvent être amenés à siéger au cours d'une session déterminée.
    C'est dans cette liste de session que sont tirés au sort, au début de chaque affaire jugée, les jurés qui composeront le jury. Au fur et à mesure que les noms sont tirés au sort, l'accusé peut en récuser cinq et le ministère public quatre (respectivement six et cinq si c'est en appel). Des jurés supplémentaires (art. 296 du code de procédure pénale) sont également tirés au sort afin de remplacer les jurés qui pourraient être victimes d'un empêchement en cours de procès ; ils ne participent pas aux délibérations (leur nombre est décidé par la cour - les 3 magistrats professionnels - , et est souvent fonction de la durée prévue du procès). Les jurés sélectionnés ne peuvent normalement pas en être dispensés sauf à justifier de problème de santé ou être âgés de plus de 70 ans. Si le juré ne se présente pas au tribunal, il peut être condamné à une forte amende. En outre, il reçoit une indemnité de comparution, une indemnité de voyage et de séjour (frais de déplacement, repas) ainsi que, éventuellement, une indemnité de perte de salaire.
  • Les tribunaux correctionnels jugent les délits.
  • Un délit est une infraction de gravité intermédiaire entre la contravention et le crime donnant lieu à un procès.
  • Un délit est puni de peines d'emprisonnement et de peines complémentaires (suspension du permis de conduire, interdiction d'exercer une activité, privation des droits civiques, ...).
  • « Rapprocher le Peuple de sa justice ». Ce principe n'est pas forcément négatif mais il est à double tranchant.
  • « Sa » justice. La justice est rendue au nom du Peuple Français, d'où l'utilisation du possessif, logique et conforme aux idéaux républicains. Mais lorsque les termes « le Peuple » et « sa justice » sont mis côte à côte, la logique change de registre et il est permis de comprendre que le Peuple va rendre sa propre justice. Ce n'est plus un idéal républicain, mais révolutionnaire (celui qui envoyait les indésirables à la guillotine).
J'ai passé en revue quelques articles de presse sur le sujet et j'ai relevé les motivations (avouées) du Président de la République :
  • Cette proposition est une réponse à une question sur de récents faits divers (dont on trouvera les éléments sur Internet : cas de récidive, entre autres)
    Note : lors de son intervention télévisée face à des citoyens (triés sur le volet – technique du « pas de vague » bien connue désormais) Monsieur Nicolas Sarkozy a eu une fâcheuse tendance à pratiquer l'amalgame (terme de rhétorique qui consiste, en gros, à mélanger les sujets différents sur la forme mais qui semblent avoir un point commun.) Ceci a pour avantage de faire passer son message même s'il est hors de propos.
  • Les crimes sont jugés après délibération des jurés populaires tandis que les délits sont jugés par des juges professionnels.
  • Le peuple n’est pas assez associé aux décisions de justice.
    (Note : j'ajouterai le commentaire personnel suivant : il n'y a pas que pour la justice, la loi et les réformes des différents gouvernements se décident sans aucune intervention des premiers concernés.)
  • La justice est rendue au nom du Peuple Français, il est normal qu'il y soit associé.
    (Le commentaire du point précédent s'applique pareillement ici).
  • les sanctions sont en général moins lourdes lorsqu’elles sont rendues par des magistrats professionnels.
    (On peut donc comprendre que l'intervention du Peuple dans la justice n'a pas d'autre but que d'alourdir les peines ! Que devient la loi, dans ce cas?)
Pour le Président, le débat peut être animé autour de quelques idées : (pour chacun des points, mon commentaire est entre parenthèses)
  • Ajouter des juges non professionnels.
    (Les juges professionnels ont fait des études de droit et sortent des écoles de la magistrature. Sur quels critères se baserait-on pour le recrutement des juges non professionnels ? N'oublions pas que les délibérations des jurés populaires des assises sont conduits par un juge, et que ce juge est un professionnel.)
  • Le terme d'échevin a été prononcé. Un échevin, sous l'ancien régime est un magistrat municipal. C'est également le titre du magistrat adjoint du bourgmestre en Belgique et aux Pays-Bas.
    (Encore une référence à l'ancien régime. Une de plus, sans doute une de trop! Autre remarque importante : la politique du gouvernement actuel est de faire des économies, notamment sur les emplois, parce que c'est le travailleur qui coûte cher -ne l'oubliez pas ! Vous coûtez, et cher ! Peut-on réellement supprimer des emplois et en créer en parallèle, le tout dans les mêmes secteurs ? Une réponse, Monsieur le Président ? Non ! Tu m'étonnes!)
  • Le Président Sarkozy veut introduire un peu plus de sens du terrain.
    (Le sens du terrain, ce n'est pas réservé aux juges ! Il faudrait que les députés, les membres du gouvernement et tout ce qui exerce un pouvoir (illusoire, fictif ou supposé) fasse un détour obligatoire (et logique) sur le terrain. La France, ce n'est pas une vaste foire commerciale, des marchés où on va serrer des mains et se montrer la veille des élections à des gens qu'on oublie aussitôt les résultats connus!)
Il suffit de parcourir la presse ou de lire les billets et les commentaires des internautes pour se rendre compte que derrière les beaux discours se cachent de vieilles querelles. Quelles sont-elles ? Voici un élément de réponse.
  • Nicolas Sarkozy entretient des relations compliquées avec le monde judiciaire. (On se souviendra des précédentes tentatives de réforme)
  • Il dénonce régulièrement les «dysfonctionnements».
  • C'est souvent à la faveur de faits divers. (opportunité ou prétexte?)
  • Au sujet des jurés populaires dans les correctionnelles, des journalistes ont relevé une contradiction :
    « En juin dernier, Michèle Alliot-Marie préconisait, elle, la suppression des jurés populaires dans les cours d'assises pour les crimes les moins graves. Notamment pour des raisons budgétaires. Où est la logique, où est la cohérence ? »
L'arrivée sur le tapis de l'actualité de ce débat dépasse le cadre de la réforme de la justice. Je serais même tenté de rapprocher cette nouveauté de quelques buts purement électoralistes dont j'ai dressé une liste, certes incomplète, mais qui peut donner à réfléchir.
  • Ces jurés populaires sont une pirouette démagogique. Une façon comme une autre de rassembler les français autour d'un thème qui peut leur être commun mais que j'ai envie de réduire à la question suivante : « Comment allez-vous punir et réprimer à la place des juges dont c'est le métier ? »
  • Ce débat peut également être compris comme un clin d'oeil populiste vers les déçus de la gauche, dans la mouvance de Ségolène Royale, qui a déjà expérimenté la démocratie participative dans sa région, ou vers les français qui veulent pouvoir être entendus. J'éprouve une certaine méfiance pour de tels procédés. Lorsque la république délègue à d'autres ce qu'elle ne veut ou ne peut faire elle-même par craintes de représailles, c'est une preuve de lâcheté évidente.
  • En 2011, le Président de la République se soucie du peuple. En 2010, il s'en fichait complètement, mais cette année, ça va changer. C'est ce qu'il dit ! On sait le décalage qu'il peut y avoir entre ses propos et ses actions.
  • Ces jurés populaires reflètent une autre impression : la démocratie est formidable car on peut l'invoquer à tort et à travers pour faire tout et n'importe quoi. On savait déjà que le respect des règles démocratiques variaient selon le temps (aussi bien celui qu'on mesure que celui qu'il fait – pluie ou soleil) et selon la géographie. Ainsi, le gouvernement égyptien doit écouter les revendications car c'est le peuple qui décide (en Egypte) alors qu'on France, on n'écoute personne et c'est le peuple qui doit la fermer !
  • Plusieurs fois j'ai lu que, grâce au recours aux jurés populaires, les sanctions seraient plus lourdes que celles des juges. Cela laisserait sous-entendre qu'il existerait deux justices différentes : celle de la loi et celle du peuple. Les sanctions relèvent de deux principes contradictoires : l'émotionnel et le rationnel. L'apparition dans l'actualité, en complément de quelques faits divers (cas de récidive, notamment) permet d'imaginer que la justice soit rendue sous le coup de l'émotion plutôt qu'après mûre réflexion.
  • Je ferai simplement remarquer un détail. Les cas de récidive, les crimes et tout ce qui a fait la une des journaux ces derniers temps relèvent de la cour d'assise où siègent déjà des jurés. Les tribunaux correctionnels ne s'occupent que des délits.
    (Vous trouverez des compléments d'information sur le site wikipédia, les sites gouvernementaux et législatifs comme Legifrance et lexinter, ou tout simplement, prochainement, sur le site de la constitution de la RRF)
  • le risque de compliquer la procédure et la tenue des audiences.
La réforme de la justice :
  • remises de peines. Explications par un exemple :
    Condamnée à huit ans de prison en juin 2009, Véronique Courjault, reconnue coupable d'un triple infanticide, a été libérée vendredi dernier, soit moins d'un an après le verdict. Cette détenue qualifiée d'«exemplaire» a bénéficié du système de remise de peine. Explications.
    Depuis la loi du 9 mars 2004, le système de réduction de peine fonctionne comme un crédit, un peu comme le permis à point. Il est calculé a priori, en fonction de la durée de la condamnation prononcée et non en fonction de la nature et la gravité de l'infraction commise.
    Motiver le détenu
    Trois mois sont déduits pour la première année d'incarcération puis deux mois pour les années suivantes (à condition de ne pas être récidiviste). Dès le début de la détention, l'administration pénitentiaire est donc en mesure d'informer le détenu de sa date prévisionnelle de sortie. Objectif: motiver le détenu à avoir une conduite exemplaire.
    Dans le cas de Véronique Courjault, le calcul est le suivant. Sur les huit ans de condamnation, il faut retirer trois mois pour la première année puis sept fois deux mois pour les sept ans restants. Ce qui ramène potentiellement la peine à six ans et demi. Or, Véronique Courjault était en détention préventive depuis octobre 2006. Il faut donc enlever deux ans et demi supplémentaires. La peine pouvait donc être ramenée à quatre ans.
    Comment expliquer, alors, que Véronique Courjault n'ait passé qu'un peu plus de trois ans et demi en prison? Si la loi prévoit de diminuer le crédit en cas de mauvaise conduite, elle prévoit également de l'augmenter en cas de comportement particulièrement vertueux, comme le fait de passer un examen, ce qui est le cas de Véronique Courjault. Un maximum de trois mois par année d’incarcération peut ainsi être ajouté. On arrive donc vite aux trois ans et demi de détention.
  • contrôle de l'exécution des sanctions. (Mystérieusement, lorsque j'ai fait des recherche sur ce thème, les réponses me conduisaient toujours sur un point du droit algérien. Pour le droit français, faute de références, ce principe semble inconnu.)
  • rôle des juges des libertés et de la détention,
  • la confiance du peuple pour sa justice. (La triade confiance, peuple et justice mériterait à elle seule des pages de dissertation)
  • Les juges sont trop indulgents (ce qui sous-entendrait, en se référant au point précédent, que le peuple le serait moins. Il est possible de comprendre que le recours au peuple dans la décision de justice n'a d'autre but que court-circuiter les juges.)
  • Le juge est un fonctionnaire. Quelle est sa légitimité? (Cette fois-ci, si je prends en considération les deux points qui viennent d'être abordés, le grain de sable dans les rouages de la justice, c'est bel et bien le juge.)
  • Avec un juge fonctionnaire, on espère avoir une justice normée et donc objective rendue par des techniciens du droit. Or ces juges ne sont pas représentatifs de la société qu'ils régulent, d'où le sentiment d'injustice résultant de leurs décisions.
Quelques réactions collectées sur la toile.
« La solution du jury populaire pur serait probablement plus acceptée par la société, mais la justice rendue sur le coup de l'émotion risque de s'affranchir des principes du droit. »
« Deux solutions pratiques existent :
  • l'élection des juges par les citoyens, éventuellement à partir de candidats jugés techniquement compétents (Et par qui ? Selon quels critères?)
  • cantonner les juges à la vérification de la conformité au droit des décisions rendues par les jurés populaires.
Ces deux solutions remettent en cause le jacobinisme français et l'idée selon laquelle le peuple, forcément inculte, doit être guidé par ses élites technocratiques. Il est possible que le droit y perde un peu, la démocratie, elle, y gagnera. »
« Abraham Lincoln dans son discours de Gettysburg disait en 1863 : "Un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple". Le peuple agit avec bon sens. Les politiciens et les juges agissent pour leur carrière et pour être élus et réélus. »
« La politisation de la justice française, et son absence de compte à rendre, sont insupportables. Il n'a aucun contrôle démocratique de la justice en France, hors du jury réservé aux assises. Les juges ne sont et ne devraient être que des techniciens du droit, appliquant les lois votées. On en est très très loin. La justice est censée être rendue au nom du peuple français, et celle ci doit être démocratique et rendre des comptes, comme dans les autres pays démocratiques, tout en étant séparée du législatif et de l'exécutif. Il n'y a pas de réforme plus urgente que d'introduire l'échevinage ou le jury partout, et de supprimer l'Ecole de la Magistrature qui favorise l'esprit de caste et la politisation de la justice. Pour le moment, la justice française est devenue illégitime. Elle ne représente qu'elle même. Elle n'applique plus la loi, mais elle l'interprète selon la convenance des juges. Si le jury est légitime pour les crimes les plus graves, il l'est à fortiori pour les délits. Il ne s'agit pas d'une justice populaire, mais démocratique évitant l'arbitraire du juge. »
« Les jurés populaires pourraient très bien s'opposer à la mainmise du pouvoir sur le judiciaire...
On vient d'apprendre que le parquet de Paris n'ouvrira pas d'information judiciaire pour corruption ou abus de biens sociaux dans le dossier concernant le paiement de commissions occultes en marge d'une vente de sous-marins français au Pakistan. Le procureur Jean-Claude Marin juge que ces faits sont prescrits ou que les plaignants, les familles des victimes d'un attentat anti-français, commis à Karachi en 2002 et supposé être lié à l'affaire, n'ont pas qualité pour agir sur le volet corruption. N'est-ce pas le type même d'affaires qu'un juré populaire pourrait obliger le procureur de traiter ?
Il y a un autre endroit ou un juré populaire serait particulièrement bien vu, c'est lors de la confrontation entre un contribuable et le fisc. Car dans ce domaine, le fisc abuse de son autorité. Combien d'entreprises a-t-il coulé sous prétexte d'une erreur sur le taux de TVA ? Cela a même provoqué des suicides. De plus, cela éviterait les cas de corruption entre politiques et contribuables attrapés.
Le peuple ne veut pas ce que le chef veut, on ne l'écoute pas. Et paf le lendemain, on parle de rapprocher le peuple de la justice (sans doute en espérant mieux la contrôler). Curieux quand même, il n'y a pas si longtemps ce gouvernement évoquait la possibilité de réduire, voire de supprimer, les jurys d'assises. Comme c'est étrange !
Ils annulent des cessions d'assises par manque de budget pour payer les jurés, je ne vois pas comment ils vont les payer pour les tribunaux correctionnels qui sont plus qu'encombrés. Dans mon intervention je voulais simplement mettre en avant les contradictions de ce gouvernement, qui tous les jours lance une idée sans y mettre les moyens et de plus je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dans beaucoup de cas heureusement que la justice est rendue par des professionnels. »
« Des jurés populaires, des réformes populistes ?
On le sait, le prochain caprice la prochaine réforme présidentielle en matière de justice portera sur la présence de jurés populaires dans les juridictions correctionnelles, un projet de loi devant être présenté avant la fin de l’année.
La suppression du juge d’instruction n’ayant pu aboutir, du fait notamment de l’opposition d’un certain nombre de députés, et de l’irruption dans le débat national de multiples dossiers où les juges d’instruction n’étaient plus présentés comme des schizophrènes irresponsables, mais bien comme des garants d’une enquête plus indépendante que celle menée par un magistrat du Parquet non membre de l’autorité judiciaire[1], il s’agit de démontrer une fois de plus que la réforme de la Justice est une impérieuse nécessité.
Alors voilà ressorti le nouveau serpent de mer du rapprochement-du-peuple-avec-sa-justice.
Cette antienne avait déjà été mise en avant par Jacques Chirac en 2002 suite à une promesse de campagne électorale. Les sages du Palais du Luxembourg avaient pu indiquer lors de la discussion du texte qu’il suffisait d’un peu de bon sens pour être magistrat. En outre, la multiplication des “citoyens-juges” permettait de rapprocher humainement mais aussi localement le justiciable de “sa” justice. Il semblerait cependant que la sagesse de la Haute Assemblée ait été mise à l’épreuve de la pratique, car le nombre de recrutement des juges de proximité n’a jamais atteint le quota fixé (environ 600 juges de proximité en 2008, contre 7 000 prévus initialement), et les dysfonctionnements ont en outre été suffisamment nombreux pour que le gouvernement actuel envisage sérieusement leur suppression. En outre, la proximité géographique a été mise à mal par la réforme de la carte judiciaire, dont on sait que les tribunaux d’instance ont payé le plus lourd tribut.
Le flux et le reflux des réformes gouvernementales, dans la plus grande incohérence, s’est aussi remarqué avec le projet de juin 2010 de supprimer les jurés des Cour d’Assises, au moins en première instance. Quelques mois plus tard, il semble cependant urgent d’introduire les jurés non professionnels devant les juridictions correctionnelles. En première instance…
S’il n’y a pas dans la magistrature d’opposition de principe à la participation des citoyens aux décisions de justice, il n’en reste pas moins que des difficultés matérielles vont se faire jour, si la réforme passe sans préparation ni étude d’impact. Les Cours d’Assises, qui siègent théoriquement une fois par trimestre, ont le plus grand mal à constituer les listes de jurés. Beaucoup de concitoyens, que la lourdeur de la tâche effraie, préfèrent se faire porter pâle. D’autres mettent en avant qu’il ne peuvent pas se permettre de quitter leur travail pour trois semaines ou plus, particulièrement lorsqu’ils travaillent à leur compte.
Le nouveau système devra prévoir la possibilité de faire participer les citoyens non pas quelques semaines par an, mais toutes les semaines, voire tous les jours dans les plus grosses juridictions, où les audiences correctionnelles sont quotidiennes. Certes, le gouvernement semble envisager de limiter leur intervention au infractions punies de 10 ans d’emprisonnement. Mais où est la logique, dans tout cela ? Si les citoyens doivent concourir à la justice correctionnelle, pourquoi limiter cette intervention aux infractions les plus graves ? Comme les crimes ?
L’argumentaire selon lequel la justice ne serait pas une affaire de spécialistes est, quant à lui, tout aussi faux qu’humiliant. Les magistrats font au minimum quatre années d’études pour se présenter au concours de l’ENM. Ils suivent ensuite une formation de 31 mois, tant théorique que pratique, sanctionnée par un concours de sortie. Tout cela pour exercer un métier qui ne nécessite aucune compétence particulière ? Dans ce cas, permettons aux citoyens d’exercer au moins partiellement les fonctions de chirurgien, d’avocat ou de garagiste. L’appropriation par les citoyens de ces métiers parfois décriés permettra d’éviter à l’avenir des critiques récurrentes. Qu’il me soit cependant permis de choisir le professionnel auquel je m’adresse, ce qui n’est malheureusement pas possible pour les magistrats.
Je me permets à ce titre de faire également humblement remarquer au Chef suprême des Parquetiers que tenter de démontrer par les exemples des tribunaux de commerces et des conseils de prud’hommes que la justice n’est pas affaire de spécialistes est à mon sens assez hasardeux. Les magistrats qui siègent dans ces juridictions ne sont certes pas nommés pour leurs compétences juridiques en droit commercial et en droit social, mais élus parce qu’ils ont des connaissances professionnelles particulières dans les matières qui les concernent. Faudra-t-il dès lors nommer uniquement des criminels ou des victimes pour siéger en Cour d’Assises ?
Enfin, lorsque le Garde des Sceaux, dans la droite ligne du président de la République, voit d’un bon œil la présence de citoyens (on va finir par croire que les magistrats n’en sont pas) pour les décisions de libération conditionnelle, puisqu’”Il est tout à fait normal qu’il y ait aussi des assesseurs qui soient prévus pour certains aménagements (..) particulièrement lourds”, on se demande où nos politiques vont chercher tout cela. Peut-être dans les lois déjà existantes ?
Je n’ose y croire. Ce serait la porte ouverte sous des prétextes populistes et/ou électoralistes (rayez la mention inutile) à des amendements visant à faire appliquer des dispositions que l’on trouve déjà dans notre législation, comme les articles 221-11 et 222-48 du Code Pénal, par exemple.
Je reste donc optimiste, et souhaite à tous nos hommes politiques une excellente année 2011, même pré-électorale.
Note [1] : il semble en effet qu’il puisse y avoir dans ces deux dossiers quelques légers risques d’interférence entre un procureur en liaison directe avec le gouvernement, et un dossier où un ministre est directement mis en cause, et un autre dossier où une secrétaire d’État à la Santé, qui a travaillé pendant dix ans pour trois laboratoires pharmaceutiques différents, risque d’être fort intéressée par le dossier en cours.
(Tous les commentaires et additions que vous avez lu jusque là, sont issus du même site dont l'adresse est citée plus haut. Je ne fais que les reporter in extenso.)

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